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Version 0.1 : | 2006-07-01 |
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Résumé
Le but de cet article est de proposer une méthode pour analyser la structure des scénarios, particulièrement au niveau des mouvements entre les scènes et des choix offerts. Le travail se fait principalement du coté de la structure du texte, un peu comme un roman se divise en parties, chapitres et paragraphes qui se succèdent dans cet ordre. Il ne dit donc rien sur le contenu des scénarios et ces derniers peuvent varier fortement d'une structure à l'autre.
Table des matières
Un scénario est composé de scènes se succédant. Chaque scène est composée d'un contexte qui devra être généralement mis en place au début de la scène. Chacune possède aussi une ou plusieurs transitions permettant de se rendre à l'une des scènes suivantes prévues par le scénario.
Les situations initiales et finales sont fortement liées généralement, le but de la situation initiale étant d'accrocher l'intérêt des joueurs afin qu'ils aboutissent à l'une des situations finales prévues par le scénario.
Les liens que crée la situation initiale entre les personnages et le scénario sont appelés les motivations. Les motivations sont des options ouvertes, offertes au MJ, afin qu'ils puissent les associer à des éléments d'histoire du PJ. Ces options sont souvent, hélas, peu nombreuses dans la majorité des scénarios, et autant le MJ doit souvent faire preuve d'une grande créativité que les joueurs doivent forcer leur suspension d'incrédulité, afin de conserver l'intérêt et la crédibilité dans la partie.
Parmi les problématiques des motivations, la cohérence du groupe est souvent l'une des plus importantes lorsqu'elle est désirée. Cela dépend du scénario mais un scénario offrant différentes motivations interdépendantes devrait aider grandement à l'atteinte de cet objectif.
La situation finale est souvent déterminée par l'accomplissement ou la perte d'un des enjeux offerts par le scénario. Très souvent, la quantité d'enjeux est faible, voire unique, et l'on voit donc beaucoup de scénarios se concentrer sur l'atteinte de cet unique enjeu à travers des chemins multiples. Là encore, le MJ est au prise entre forcer les joueurs à poursuivre cet unique enjeu, lié cet enjeu à ceux des joueurs, ou simplement voir les joueurs complètement quitter le scénario pour s'en aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte et le butin plus intéressant.
Une scène est vraiment un espace du récit à la fin de laquelle une transition a lieu. Au niveau de la structure, la scène a pour but de déterminer, à travers les interactions des PJs avec leur environnement, vers quelle scène la transition se poursuivra. Le rôle d'une scène ne se limite pas à ça, la majorité du temps d'une partie se déroulant durant les scènes. C'est donc un élément fort important pour capter et conserver l'intérêt des joueurs.
Le contexte permet d'établir la situation de la scène, soit les éléments du récit avec lesquels les personnages interagiront. Ce contexte peut être plus ou moins contraignants, détaillés, etc. Il peut s'agir de lieux, de personnages, d'une situation, d'un indice, d'un évènement, voire d'un peu tout ça ensemble.
Très souvent, on retrouvera dans un contexte donné un élément permettant de le distinguer des autres scènes. On appellera cet élément le déterminant de la scène.
Il faut noter que le contexte a aussi été appelé amorce à l'origine, avant de prendre le sens plus général donné par le texte actuel. Cela provenait de l'usage habituel du contexte comme introduction à la scène. Toutefois, une analyse plus poussée montre que ce n'est pas toujours le cas et le terme contexte semble plus approprié.
Pour un scénario donné, la nature de la majorité des déterminants est souvent la même. Cette nature particulière permet de regrouper les scénarios entre eux de façon intéressante car elle constitue très souvent les rails que les PJs devront suivre, soit la nature des transitions. On peut distinguer actuellement quatre types de scénarios:
Tableau 1. Déterminants et types de scénario
Nature du déterminant | Nature des transitions | Type de scénario |
---|---|---|
Lieux | Directions | Aventure |
Personnages | Relations | Intrigue |
Indices | Pistes | Enquête |
Évènements | Causalités | Récit |
Il est possible que des déterminants de nature différente existent dans un même scénario, voire se confondent. La nature alors des transitions permet alors très souvent de distinguer le type du scénario.
Par exemple, chaque scène d'un scénario pourrait posséder comme déterminant un lieu avec un PNJ attendant les PJs. Si les PNJs et leurs relations entre eux sont déterminants pour le scénarios, on parlera d'une Intrigue. Si l'importance est plutôt accordé à la configuration des lieux et à comment passer d'un lieu à l'autre, on aura affaire à une Aventure.
Contrairement a une scène, une transition ne permet pas aux joueurs d'interagir. Elle peut être plus ou moins longue, tant en temps de jeu qu'en temps du récit. Elle aboutit par l'arrivée des joueurs à la scène suivante, souvent représentée par un contexte. La transition est souvent perçue comme une introduction à la scène suivante et peut donc parfois sembler inexistante.
Un point de transition appartient à une scène et correspond à un endroit où la scène peut se terminer et une ou plusieurs transitions commencées. Très souvent, un point de transition ne peut être franchi que sous certaines conditions, allant d'un choix des joueurs ou du MJ, à la réussite (ou l'échec) d'un test.
On peut parfois distinguer les transitions en comparant le temps de jeu avec le temps du récit:
Tableau 2. Genre des transitions
temps de jeu | temps du récit | ||
---|---|---|---|
inexistant | court | long | |
inexistant | suite | ellipse | ellipse |
court | pause | liaison | sommaire |
Long | narration | pause | développement |
La transition est immédiate. On passe à la scène suivante.
On passe à la scène suivante sans décrire ce qui passe entre les deux.
Une description est faite, souvent pour mettre de l'ambiance ou décrire un élément du décor.
Pratiquement en temps réel, on décrit ce que les personnages font durant le passage à la scène suivante.
Un résumé de ce qui se passe durant la transition est donnée.
On décrit longuement ce qui se passe pour les personnages entre deux scènes très éloignées dans le récit. Ceci est souvent une transition entre deux parties d'un scénario, voire entre deux scénarios différents.
Un récit est fait sur le scénario, l'univers de jeux, ou des explications supplémentaires sur la scène passée, la scène suivante, etc.
Il faut noter que le MJ a souvent une très grande liberté pour la détermination du genre. Cette information n'est donc souvent disponible qu'à l'exécution de la partie bien que le scénario puisse donner quelques indices ou indications pour certaines d'entre elles.
Un élément important des transitions est son effet sur l'atteinte des enjeux et le degré de contrôle qu'à le joueur sur le passage vers la scène suivante. On distinguera trois types de transition:
Cette distinction est inclusive. Une décision est une résolution et une résolution est une transition, mais l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Elle s'applique aussi aux points de transition. On distinguera alors le point de transition, le point de résolution et le point de décision.
Il faut aussi remarquer que la décision ne représente qu'un potentiel d'influencer la partie. La concrétisation de ce potentiel dépend beaucoup du système utilisé par le groupe et est propre à l'exécution d'une partie et non au scénario. La décision ne fait donc que permettre cette influence de se réaliser. De la même façon, un système pourrait aussi transformer une résolution ou même une transition en décision. Encore une fois, cette nomenclature ne concerne que le scénario en lui-même et non ce qu'on en fait.
Une autre notion dans les transitions est leur effet sur la suite de l'histoire. L'importance de la transition correspond au nombre de scènes que l'emprunt de cette transition donne ou ferme l'accès aux PJs par rapport aux scènes accessibles avant le passage de la transition.
Appliqué aux résolutions (et aux décisions par la même occasion), la notion d'importance prend un sens supplémentaire: on doit à ce moment aussi considérer si une résolution est nécessaire à ou interdit l'atteinte d'un enjeu. Cette résolution sera alors beaucoup plus importante, peu importe le nombre de scènes auquel elle donne ou ferme l'accès.
La trame est l'ensemble des scènes et des transitions possibles existant dans le scénario. Un chemin précis qui suit ces transitions de scène en scène avec un début et une fin aboutissant à la résolution d'un enjeu constitue une histoire. Lorsqu'il est possible de former une telle histoire sans ajouter de nouvelles scènes, on parlera d'une trame complète.
Cette section tente de donner quelques pistes d'analyse intéressantes au-delà de la nomenclature présentée précédemment.
S'il est possible de trouver des scénarios avec des trames complètes, il arrive rarement qu'un tel récit soit suivi à la lettre par les joueurs. Très souvent, les joueurs choisiront de suivre des chemins imprévus, voire s'éloigneront complètement des enjeux prévus par le scénario, le quittant effectivement. Une trame se voit donc très souvent complétée par l'utilisation de scènes et de transitions improvisés.
On peut repérer deux moments intéressants à ce niveau, soit l'apparition d'une transition spontanée, avec son déplacement vers soit une scène existante, ou une scène improvisée, et la transformation d'une transition longue en scène improvisée. Ces deux occasions existent dans presque tous les scénarios et la première est même très souvent utilisée, les transitions étant rarement toutes indiquées par le scénario.
Il est possible de diviser ces improvisations en deux types: les déductives, qui sont des développements d'éléments donnés par le scénario, souvent par souci d'économie d'espace ou de temps, et les créatives, qui sont des créations complètes, causées par la demande des joueurs ou la fantaisie du MJ. Il va sans dire que ces dernières possèdent plus de risques que les premières de voir les joueurs quitter le scénario, pour le meilleur et pour le pire.
On parle souvent de linéarité dans un scénario sans trop savoir comment la définir. La nomenclature précédente permet d'en distinguer quelques types de façon plus déterminante. Il est à noter qu'un scénario linéaire n'est pas nécessairement mauvais ou ennuyant. Le scénario reste un outil de base du jeu de rôle et son impact dépend beaucoup de l'adéquation de son usage avec ce dont il est capable de produire. Pour faire une métaphore avec la menuiserie, se servir d'un tournevis comme d'un marteau s'avéra presque toujours inadéquat, peu importe la qualité du tournevis.
La majorité des scénarios ne présentent qu'un seul enjeu. Cette forme de linéarité entraîne souvent que les joueurs doivent adopter l'enjeu du scénario afin que ce dernier soit mené à bien. Si le scénario offre une gamme de motivations très diverses pour la réussite de cet enjeu, il peut être très intéressants mais, la plupart du temps, les joueurs se retrouvent à devoir soutenir l'enjeu demandé et doivent se créer une motivation très souvent artificielle et de peu d'intérêt, minant du coup les chances que le scénario soit mené à terme. C'est, à mon avis, la plus grande déficience dans l'offre scénaristique actuelle.
Un ratio très faible du nombre de transition possible par scène est la forme de linéarité la plus reconnue. Lorsque les joueurs n'ont que peu de choix pour passer vers d'autres scènes, un sentiment de dirigisme s'installe rapidement. Le seul moyen de sans sortir est d'improviser de nouvelles scènes, ce qui risque de mener à l'abandon du scénario (pour une autre histoire, ce qui n'est pas mauvais en soi) après un certain temps.
Une rareté des résolutions peu entraîner un effet similaire à une rareté des transitions. Même si les transitions sont nombreuses, une rareté des résolutions fait en sorte que les PJs n'ont aucune influence sur l'histoire. L'intérêt diminue alors car les joueurs ont l'impression que l'histoire se déroule sans eux.
Cette dernière forme de linéarité entraîne les joueurs à ne plus se sentir en contrôle avec le scénario, et à décrocher de leurs enjeux. Ils auront généralement l'impression d'être perdus ou mener par le scénario, les transitions étant prises soit en aveugle, soit hors de leur contrôle. En fait, le ratio idéal entre résolution et décision devrait s'approcher de 100%, ce qui équivaut à dire que les joueurs ont toujours moyen d'influencer consciemment les résolutions en cours de partie.
À défaut, plus la résolution est importante, plus elle devrait être une décision. Il est important que le scénariste s'assure que les joueurs aient toutes les informations en main lorsque vient le temps de poser une résolution. Il s'assure ainsi que ces derniers peuvent prendre une décision adéquate à l'atteinte des enjeux qu'ils ont choisi.
Des transitions très importantes ont tendance à effacer les transitions avoisinantes de moindre importance, pouvant même devenir des passages obligés à la limite. Ceci diminuera en conséquence les transitions véritablement possibles dans le scénario, d'une façon ou d'une autre, pouvant entraîner effectivement une rareté des transitions.
La même remarque s'applique mais avec un moindre effet pour les résolutions. Il est plus normale pour les résolutions d'avoir un effet important. Ceci ne fait que rendre l'enjeu plus difficile à atteindre et augmenter l'importance mise à la réussite de la résolution. Toutefois, comme il a été dit précédemment, plus une résolution est importante, plus il est important qu'elle soit aussi une décision.
Cette forme de linéarité est la plus difficile à percevoir. Des transitions trop faibles ont peu d'influence sur la partie. Si elles laissent toutes les libertés aux joueurs, elles diminuent aussi l'impact de leurs choix, donnant l'impression aux joueurs que peu importe ce qu'ils font, ils parviendront quand même à la fin du scénario. Bien que ce soit parfois désirable dans certains modes de jeu, c'est souvent plutôt incompatible avec les notions d'enjeux et de poursuite du scénario.
On serait tenté de croire que la similitude entre le type de scénario et l'intérêt des joueurs est la base pour choisir un scénario mais ce n'est pas nécessairement le cas. Le type de scénario ne représente que la forme d'organisation du scénario et son sujet, plus clairement représenté par son contexte, peut s'en éloigner. Le scénario n'est qu'un canevas sur lequel les joueurs vont peindre leur histoire. Dépendant de ce qu'ils désirent faire avec, le canevas peut être une source d'inspiration ou une contrainte ennuyante.
La nature des transitions étant souvent proche de celle du déterminant, choisir un type de scénario dont les déterminants sont proches de ce qu'aiment les joueurs permet de soutenir leur intérêt davantage en cours de partie. Ainsi, si vos joueurs aiment résoudre des énigmes complexes, l'Enquête est souvent beaucoup plus adéquate que l'Aventure et pourra même avoir lieu à huis-clos, éliminant le désagrément d'aller visiter les salles pour trouver les bons indices.
Les transitions sont toutefois aussi très souvent une contrainte imposée par le scénario. Bien qu'elle puisse être très grande, la quantité de transitions dans un scénario est quand même fort limitée comparativement à ce qui est possible de cultiver dans le terreau fertile de l'imagination. Avec des joueurs très créatifs, choisir un scénario avec un type proche de leur sujet favori, c'est presque s'assurer que des transitions improvisées vont apparaître avec les risques que cela comprend de quitter le scénario. Si l'improvisation est principalement d'ordre déductif, cette approche n'est pas mauvaise en soi. Si elles sont créatives, toutefois, cela peut rapidement entraîner une surcharge pour le MJ et rendre le scénario complètement inutile.
Une approche plus économique serait alors de sélectionner un scénario dont le type est loin des forces de vos joueurs mais où ils pourront s'exprimer librement sur le sujet. À ce moment, même un scénario linéaire pourra s'avérer adéquat, l'intérêt des joueurs n'étant pas dans la structure même du scénario mais dans son contenu et dans ce qu'ils parviennent à créer à travers le contexte offert par le scénario. Ainsi, une Aventure s'avèrera plus intéressante qu'une Intrigue pour les joueurs qui aiment créer leurs propres interactions avec les personnages, particulièrement entre eux. Le MJ devra alors simplement s'assurer que les PNJ rencontrés lors de l'exploration des différentes scènes sont assez solides pour intéresser les joueurs.
Les scénarios sont un outil dont le but est d'aider à répondre aux besoins exprimés dans le modèle des jouets. On verra comment les scénarios aident à répondre à ces besoins à travers chacun des aspects du modèle.
Le scénario est avant tout un jouet. Il propose une structure, un canevas de base à explorer, à travers lequel les joueurs tenteront de créer leur propre histoire. Les scènes et leur contexte constituent ce canevas de base et sera un élément important de l'intérêt que porteront les joueurs au scénario.
C'est surtout à travers les transitions, particulièrement les décisions, que l'aspect Jeu est répondu. La présence d'un bon nombre de points de décisions à travers l'ensemble du scénario permet de s'assurer que non seulement chacun a l'occasion d'orienter l'histoire à sa guise mais aussi qu'ils se sentent impliquer dans la réussite du scénario, souvent nécessaire pour maintenir l'intérêt des joueurs.
L'expression des joueurs passent par les points de décisions, mais ceux-ci ne servent à rien si vous n'êtes pas parvenu à lier les personnages aux enjeux du scénario. Ce lien se crée dès le départ à travers les motivations offertes par le scénario et il est important pour les groupes qui mettent l'Histoire en avant-plan de s'assurer que ce lien est fort pour maintenir l'intérêt des joueurs. Sinon, vous risquez d'avoir des joueurs qui se sentent peu liés à l'atteinte des enjeux, peu importe l'intérêt du thème ou la qualité des décision du scénario.
Merci à Radecave pour la proposition et le développement d'un tel sujet, ainsi qu'au reste de la liste de jeuderôlogie pour leurs précieux commentaires.
Scénarios et Railroading. 10 mai 2006. Messages #XXX et suivants. .
Linéarité et ouverture d'un scénario. Août 2001. Publié sur Anthologie.