Copyright © 2003, 2006 Fabien Niñoles
Historique des versions | |
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Version 0.2 : | 2006-02-08 |
Première version francophone. Le propos de l'article a plutôt changé et le sujet original s'est beaucoup développé vers un modèle, voire carrément une méthode de résolution générique, plutôt qu'une taxonomie. | |
Version 0.1 : | 2003-01-01 |
Première version anglophone (incomplète). |
Résumé
Dans cet article, l'auteur propose une façon d'aborder la résolution des actions basée davantage sur la narration que sur la simulation, tout en conservant les mécanismes traditionnels que l'on retrouve dans la majorité des jeux de rôle. En identifiant les composants d'un système de résolution et leur influence sur la narration, l'objectif de cette méthode est de choisir le système de résolution en fonction du rythme narratif plutôt que de la nature de l'action. Le modèle de résolution obtenu sera comparé à d'autres modèles existant tels que la hiérarchie DKF et ses sous-éléments basés sur l'aléatoire.
Table des matières
J'ai essayé pendant longtemps de créer un système vraiment générique, capable de gérer un large domaine d'échelles de grandeur, mais aussi différents genres et atmosphères de jeu de rôle. Ces objectifs furent longtemps considérés comme une chimère impossible à atteindre car certains de ces genres poursuivent des buts contraires aux autres par leur nature même. Toutefois, j'étais sûr que c'était possible même si l'idée restait vague. Bien que certaines personnes pourraient mettre cette confiance comme un symptôme de mon obstination en prenant comme preuve l'échec de nombreux systèmes dit génériques sur le marché, je pense que j'ai quand même un atout de mon coté: je maîtrise moi-même depuis plus de 15 ans dans le même monde avec une très grande variété de genres et de décors que je dois mélanger ensemble pour le plaisir de mes joueurs. Alors, si je peux le faire, pourquoi personne d'autre ne pourrait? Encore que, si des mots à la pratique, le pas est grand, l'inverse est parfois pis!
En analysant différents jeux de rôle, et dans mes myriades d'essais à adapter chacun d'entre eux à différents décors, j'ai retrouvé souvent les mêmes éléments de décors (comme la magie, le combat, la santé, etc.) mais avec des mécanismes très différents dépendant de l'atmosphère que les concepteurs voulaient créer. Aussi, dans la plupart des forums de créateurs de jeux de rôle, c'est l'atmosphère, la saveur que vous voulez créer qui est considéré comme l'élément le plus important. Très souvent, l'atmosphère et le décor sont mêlés ensemble mais est-ce bien nécessaire? Si ce n'est pas le cas, ne devrait-on pas arrêter de créer des mécaniques basées sur des décors spécifiques et plutôt aller directement avec l'atmosphère, l'élément qui distingue le plus souvent une expérience de jeu de rôle intéressante et une autre ennuyante?
Ce papier est une première tentative pour élaborer les éléments théoriques d'un tel jeu de rôle, particulièrement sur la façon qu'un MJ devrait aborder la résolution des évènements. Pour cela, on y élabora un modèle permettant d'analyser le système de résolution, afin d'en distinguer les éléments qui contribuent et modifient l'atmosphère de jeu.
Bien que je ne puisse prétendre faire une présentation complète de toutes les études sur les systèmes de résolution d'évènement, je me dois au moins de présenter les travaux qui ont influencé celle-ci.
En premier, le modèle le plus populaire à ma connaissance des évènements de résolution est la hiérarchie Drame - Karma - Fortune (DKF) de Jonathan Tweet. Publié dans le jeu de rôle Everway, ce travail a été repris par Ron Edwards pour en faire une partie importante de sa théorie du jeu de rôle. La hiérarchie DKF travaille surtout avec la mécanique de résolution elle-même, définissant son choix comme une hiérarchie où le contrôle des joueurs est repassé aux règles et à certains générateurs d'aléatoire comme les dés. Le principe de la hiérarchie est donc de donner plus d'emphase sur le contrôle par les joueurs plutôt que par les règles, un principe que j'essaye de suivre moi aussi.
Enfants du DKF, les modèles de Fortune-au-Début (FaD), Fortune-au-Milieu (FaM) et Fortune-à-la-Fin (FaF) est une autre taxonomie des mécanismes qui tente d'étudier précisément comment les résolutions de type Fortune peuvent être utilisées pour redonner du contrôle aux joueurs, au lieu des règles ou du hasard. Il est légèrement différent de la hiérarchie DKF elle-même, mais garde aussi le même point de vue. Je m'en suis beaucoup inspiré pour ce modèle.
Finalement, je veux inclure l'excellent travail de Hunter Logan dans sa chronique the Impossible Dream sur RPG.net. Monsieur Logan parle du flot du jeu, d'une façon très proche de celle que j'utilise pour parler de la résolution d'évènements, de même que de la balance de pouvoir, qui exprime comment le flot du jeu influence la balance du contrôle entre les joueurs, le MJ et les règles. Logan ramène aussi les trois échelons de la hiérarchie DKF mais l'utilise de façon à disséquer les éléments d'un système de résolution. Il a eu le bon goût d'utiliser une dénomination différente toutefois, pour ne pas confondre son modèle avec celui de Tweet et Edwards, les nommant la Chance, l'Habilité et l'Intention. Actuellement, ils sont juste utilisés pour décrire différents mécanismes de résolution, j'ignore encore ce que monsieur Logan veut en faire en corrélation avec son flot de jeu et sa balance du pouvoir.
Une autre lecture intéressante est The Travel of Mendes Pinto par Sergio Mascarenhas. Ce jeu de rôle amateur constitue une bonne lecture pour les notes et les explications que l'auteur donne de son travail de conception. La section 4 sur l'action, où l'auteur élabore sa propre théorie sur les systèmes de résolution, est particulièrement intéressante pour ce travail. Il y divise la résolution en terme de contexte, de buts, de performance et de résultats et amène la notion intéressante d'engagement du personnage (commitment). Bien que je ne reprenne pas directement cette dernière, la division de Mascarenhas ressemble fort à celle du DRI.
Cela résume très brièvement ce que je considère comme les théories les plus importantes concernant les mécanismes de résolution dans le domaine du jeu de rôle. Ceci est toutefois loin de faire le tour complet des théories, ce qui serait un travail ardu. Il me fera plaisir de connaître d'autres approches, spécialement si ces dernières viennent briser la tendance actuelle de ne considérer la résolution d'évènements strictement en terme de mécaniques de règles.
Qu'est-ce qu'un système de résolution d'évènements? Demandez à la communauté rôlistique et vous aurez autant de réponses différentes qui pourront plus ou moins se résumer à: « C'est quand on roule les dés ». Cela est peut-être vrai pour certains jeux de rôle mais pas pour tous et surtout, c'est plutôt court pour un élément aussi important. Pour le propos de cet article, je voudrais utiliser une définition un peu plus large, qui sera développée par la suite mais qu'on pourrait formuler ainsi:
Le protocole par lequel les joueurs décident de la suite des évènements de la situation de jeu courante entre différentes issues intéressantes.
Cette définition contient déjà, par sa nature, un point de vue narratif sur la résolution d'évènements. On y trouve que la résolution est un protocole entendu entre les joueurs, et n'ont pas une méthode imposée, que ce soit par nécessité ou arbitraire. Ensuite, il détermine que ce protocole n'intervient que lorsque plusieurs choix intéressants se présentent. Cela implique que le système n'interviendra pas si une seule issue est intéressante. Le système n'est pas là pour ennuyer les joueurs ou leur imposer des choix sans intérêts mais bien pour relancer rapidement la partie afin de former une belle histoire.
Ici, le mot intéressant est à comprendre au niveau de l'intérêt du groupe de jeu, incluant chaque participant, et non pas des personnages eux-mêmes. Ainsi, la mort d'un personnage peut être intéressante si elle apporte un intérêt dramatique à l'histoire, par exemple. Au contraire, un échec rendant la suite des évènements impossibles est sans intérêt. Au final, ce n'est pas tant l'histoire elle-même mais ce que les joueurs désirent comme histoire, qui compte.
Remarquez, il peut exister dans un jeu de rôle d'autres mécanismes qui ne rencontrent pas les mêmes objectifs qu'un système de résolution mais ont quand même leur intérêt et peuvent parfois être confondu avec le système de résolution. Je nommerai trois de ces mécanismes[1], que l'on retrouve couramment en jeu de rôle.
Le jeu dans le jeu est un ensemble de mécanismes présentant un intérêt propre en lui-même, auquel les joueurs chercheront à participer pour le simple plaisir de l'essayer. Les joueurs tenteront bien souvent de créer des situations leur permettant d'utiliser de tels mécanismes. On retrouve le jeu dans le jeu particulièrement dans les systèmes de combat et de magie.
Le jeu dans le jeu est un mécanisme puissant pour encourager les joueurs à favoriser un certain type d'évènements. La présence d'un système de combat intéressant entraînera les joueurs à utiliser le combat pour se sortir de certaines situations, simplement pour essayer le système. Il est donc important que le jeu dans le jeu vienne soutenir l'atmosphère voulue par la partie.
Pour un système générique, le jeu dans le jeu est dangereux car il s'implémente souvent au-dessus de certains éléments du décor. Le seul moyen d'en avoir un présent, est de l'abstraire du décor, c'est à dire de permettre au MJ de choisir quel type de situations seront considérées comme faisant partie de l'atmosphère. Ainsi, un mécanisme de confrontation générique permettra au MJ de l'implanter autant pour des joutes oratoires, magiques ou martiales. Toutefois, cela suppose déjà un décor héroïque où la confrontation est un élément important de l'histoire, ce qui est fort peu adapté aux aventures d'horreur.
Les mécanismes de description sont l'ensemble des outils servant à décrire les éléments du décor, des personnages au matériel, en passant par les monstres, armes, phénomènes et autres techniques, connaissances et difficultés rencontrées par les joueurs.
Bien que très importants à la résolution d'évènements, les mécanismes de description interviennent toutefois de façon passive, soit avant, pour évaluer les possibilités des personnages, ou après, pour représenter les conséquences des actions sur les personnages. Ils sont souvent couplés à un système de développement qui agit souvent comme un jeu dans le jeu au niveau de la partie, bien que de façon plus diffuse et à plus long terme.
Notez que puisque les mécanismes de description déterminent souvent ce qui est possible de faire ou non, ils ont une grande influence sur l'atmosphère d'une partie. Leur analyse fera probablement l'objet d'un autre article.
Les mécanismes qui implémentent les enjeux dans le jeu de rôle sont souvent à mi-chemin des deux précédents. À la fois jeu dans le jeu et système descriptif, ils font correspondre à un état (ou un ensemble d'états) du personnage une condition victorieuse, de même pour un état antagoniste au précédent une condition d'échec. Très souvent la condition d'échec constitue une mise hors-jeux temporaire ou permanente du personnage, alors que la condition victorieuse est l'atteinte d'un objectif important dans l'évolution du personnage ou de l'univers du jeu.
Bien que les mécanismes d'enjeux empruntent aux deux mécanismes précédent, leur importance dans le jeu est suffisante pour les mettre à part. Ces mécanismes indiquent avec insistance les attentes du système vis à vis des actions des personnages. Pour qu'un système fonctionne bien, il faut bien entendu que ses attentes soient les mêmes que celles de l'univers du jeu et du scénario. Sinon, vous risquez fort de rencontrer une certaine résistance à établir une atmosphère cohérente avec vos objectifs.
Qu'est-ce que le DRI signifie? DRI est l'abréviation pour Définition, Résolution et Interprétation, les trois étapes d'un mécanisme de résolution. Le point de vue du DRI sur la résolution d'évènements en fait un proche parent du flot de jeu de Hunter Logan, et peut être considéré comme un élément central de tout jeu de rôle, qu'importe à quel point ce dernier est libre ou léger en terme de règles. Toutefois, bien que ce modèle prend en compte l'aspect narratif du jeu de rôle, il ne l'explore pas aussi profondément qu'il pourrait. Ce faisant, il néglige une partie importante du jeu de rôle qui joue un grand rôle dans l'immersion du joueur. Mais le sujet de l'article tourne plus autour de l'aspect interactif des éléments de narration, ainsi qu'autour du processus de décision lui-même.
Le DRI cherche donc à modéliser les processus de résolution d'évènements en jeu de rôle. Le modèle identifie trois parties importantes d'une résolution: la description des évènements (Définition), les protocoles de résolution eux-mêmes (Résolution), et finalement leur interprétation (Interprétation). Chacun arrive un à la suite de l'autre, dans cet ordre, et chaque jeu mettra plus ou moins d'emphase sur une de ces étapes, en mettant plus de détails ou de temps à l'un qu'à l'autre, et accordant plus ou moins de contrôle aux intervenants (joueurs, MJ, règles, hasard) dans chacune des parties. Le DRI met l'emphase sur les éléments les plus importants à prendre en compte à chacune de ces étapes et d'établir une priorité sur le processus décisionnel. Ce faisant, il éclaire sur des options qui ne paraissent pas évidente aux premiers abords. Commençons toutefois par définir chacun des éléments du DRI avant d'aller plus loin.
La définition de l'évènement a pour but de définir la situation de jeu actuel sur trois niveaux: interpersonnel, narratif et mondains. Le premier a trait aux attentes des joueurs vis à vis de la partie, le deuxième au moment narratif de l'histoire et le dernier s'intéresse à la situation de jeu. Trop souvent, seul le dernier est tenu en compte en jeu de rôle. Le second est discuté dans quelques jeux de rôle, et le premier niveau n'est pris en compte implicitement que par certains maîtres de jeu, généralement ceux qui vous livrent des parties mémorables, souvent fort inconsciemment.
La prochaine étape consiste à déterminer la mécanique de résolution a utilisé. Le mécanisme peut invoquer un certain nombre de jets de dés, la consultation de table, la dépense de points quelconque, un vote de la part des joueurs, une description détaillée, etc. Le principe, c'est d'obtenir à la fin un résultat qui permettra de déterminer quelle issue a fini par subvenir. Dans ce modèle, les mécanismes sont vues de façon plus abstraite que dans la plupart des jeux. On distinguera quels sont les éléments des mécanismes qui influencent la narration afin de déterminer lesquels se prêtent le mieux à la situation narrative décrite précédemment et on la résoudra en impliquant les éléments mondains trouvés précédemment.
Finalement, si les mécanismes de résolution permettent de déterminer un résultat, le MJ et les joueurs doivent encore interpréter ces résultats. L'interprétation va plus loin que simplement décrire ce qui est arrivé. Elle dit aussi comment cela est arrivé et donne sa validité au processus de résolution par une description de ce qui s'est passé auparavant. C'est pourquoi la mécanique de résolution et les éléments impliqués dans celle-ci doit se retrouver dans la narration finale. On obtient alors une meilleure cohérence entre les mécaniques du jeu et l'histoire qui viennent se supporter l'un l'autre plutôt que se nuire.
Comme il fût dit précédemment, le but de cette étape est surtout de définir nos attentes vis à vis ce qu'on désire qu'il puisse se produire à ce moment de la partie. On ne devrait pas s'attarder ici à définir exactement tous les éléments qui peuvent tenu en compte, il y en a trop. Le modèle tente plutôt de mettre en relief différentes catégories d'éléments et leur importance dans la résolution de l'action. Une hiérarchie s'imposera dont l'importance est cruciale, à mon avis, pour bien apprécier les parties.
Le premier niveau de la hiérarchie, le plus important à mon avis, sont les éléments para-ludiques, la raison même pour laquelle le groupe se réunit. On le comprend tous, si on joue, c'est pour s'amuser. Mais chaque groupe, et chaque joueur dans un groupe, a des attentes différentes différentes. Il faut tenir compte de cette dimension dès le départ de la résolution d'action pour savoir si on ne fait pas déjà fausse route. Est-ce que votre groupe est intéressé à passer du temps à résoudre ce type d'action? Non? Alors passer immédiatement à autre chose. Est-ce que vos joueurs ont passé assez de temps à l'accomplissement du scénario? Ne leur faites pas le coup du mauvais jet de dés qui leur retire à tout jamais l'accès à leur but ultime (sauf, bien sûr, si vous avez prévu un quelconque rebondissement plus intéressant pour eux). Bref, assurez-vous que vous travaillez pour le plaisir de tout le monde et non simplement pour faire fonctionner la mécanique du jeu.
Le deuxième niveau de la hiérarchie sont les éléments narratifs, ou méta-ludiques. Ils sont déterminés par le genre de l'aventure et par le moment du récit dans lequel se trouvent les personnages. Ces éléments servent principalement à déterminer l'importance de la scène et l'effet que l'on veut accomplir à travers cette résolution d'action.
Les éléments narratifs sont importants pour créer l'intérêt à votre partie et éviter de tomber dans des dédales inappropriés où votre partie risque de s'enliser. Ils font aussi toute la différence entre une partie dont on se souvient et une autre qui ne laisse qu'un vague souvenir.
Finalement, le dernier niveau est occupé par les éléments mondains, soit ceux qui déterminent les circonstances de l'action dans l'univers des personnages. Ces éléments constituent la base de ce qui existe pour les personnages, de ce qu'ils peuvent utiliser. Cela vaut autant pour les lieux, le temps (à quel moment et combien de temps leur reste-t-il), les acteurs pouvant influencer l'action, les outils, les obstacles, les connaissances, les intentions, l'état d'esprit de chacun et tout autre facteur.
La détermination des éléments mondains est importante pour préserver la Suspension Volontaire d'Incrédulité (SVI). Il est important, avant la résolution d'une action, que tout le monde s'entende sur ces derniers car sinon, le risque de décrocher survient et avec lui l'intérêt de vos joueurs. Toutefois, il ne faut pas non plus tomber dans le piège du détail à outrance. Assurez-vous que chacun des éléments que vous prenez en compte aura sa place dans la description narrative des résultats. Si vous pensez que la citation d'un élément serait superflu lorsque viendra le temps de décrire les résultats, il l'est probablement aussi à ce niveau. Particulièrement, dans les systèmes avec un mécanisme de génération aléatoire, la majorité des petits détails peuvent être pris en compte par le jet de dés et leur mention reporter lors du jet de dés, comme nous le verrons dans la section intitulée « Résolution ».
Comment utilise-t-on maintenant cette hiérarchie? Commencez toujours par l'échelon le plus important, les éléments interpersonnels. Demandez-vous "Qu'est-ce qu'il y a d'amusant ou d'intéressant dans la situation actuelle?" Si vous ne trouvez rien, changer tout de suite votre récit. Vous n'êtes quand même pas là pour vous ennuyer. Sinon, vous aurez déjà abandonner bon nombre d'options inintéressantes qui auraient ralenti le jeu sans rien apporter; conservez donc en tête ces éléments pour la suite.
Demandez-vous ensuite quelle importance la scène actuelle a, et quelle ambiance, quel effet désirez-vous créer pour cette scène? Il se pourrait que vous ne trouviez pas la scène très importante dans le récit actuel, ou qu'au contraire, chaque détail comptera et que la suite du récit dépendra beaucoup de l'issue de la situation. Le choix sera très important pour la suite car il déterminera le temps et l'effort que vous devriez consacrer pour le reste de la résolution. Il interviendra à nouveau plus tard, lors du choix du mode de résolution et de l'interprétation des résultats.
Finalement, vous pouvez déterminez les éléments mondains. Énoncez-les haut et fort et demandez à vos joueurs de faire de même en ce qui concerne leurs personnages. Assurez-vous d'avoir bien compris les intentions de chacun. La quantité de détails à donner toutefois dépendra de l'importance de la scène donnée précédemment. Ne forcer pas les joueurs à donner une série de détails inutiles si vous ne comptez pas vous en servir ou s'ils s'avèrent sans importance. À la fin, vous vous apercevrez que plusieurs détails restent ouverts. C'est correct et cela sera pris en compte dans la résolution d'action et dans l'interprétation.
Il est maintenant temps de définir quel mécanisme de résolution utiliser. Dans la majorité des jeux de rôle, les règles ne prendront en compte qu'un seul élément, soit la nature de l'action tentée (attaquer? rechercher un objet caché? etc.). Cette méthode ne s'adresse qu'au dernier niveau de notre hiérarchie. Le premier niveau est légèrement trop abstrait: s'il permet de savoir si la résolution vaut la peine ou non, il ne permet pas de déterminer quel type de résolution il serait préférable d'utiliser (en supposant qu'il y ait plusieurs types de résolution amusante dans votre système). On s'adressera donc au deuxième niveau, les éléments narratifs, et on verra comment cela affecte nos choix des éléments mondains retenus. Mais avant de s'aventurer plus loin, regardons les paramètres qui affecteront le choix d'un système de résolution pour la situation.
Le temps de résolution est un facteur qui indique en moyenne combien de temps de jeu une action va prendre pour être résolue. Une mesure pratique est le nombre d'échanges (jets de dés, déclarations, chifoumi, etc.) nécessaires pour arriver aux résultats[2]. Certains mécanismes permettent au joueur de savoir directement s'il a échoué. D'autres demandent une réponse du MJ ou d'un autre joueur. D'autres sont ouverts, c'est à dire que le joueur doit échanger continuellement tant que l'issue n'est pas éclairci.
Il est important de noter qu'il n'est pas nécessaire que le temps de jeu corresponde au temps passé pour les personnages. En fait, c'est plutôt le contraire qui se produit généralement.
Les protagonistes peuvent être des personnages ou des objets, des évènements, et ils peuvent être passifs ou actifs. Par actif, j'entends que le joueur contrôlant le protagoniste actif sera souvent celui qui lance les dés ou fait les déclarations, alors que le protagoniste passif ne fera que présenter une résistance passive à la résolution (ses caractéristiques serviront à déterminer le niveau de difficulté par exemple). Par exemple, dans de nombreux jeux de rôle, un personnage touché par une explosion sera un protagoniste passif. Sa résistance servira par exemple de difficulté pour l'explosion, qui sera le protagoniste actif (le MJ lançant les dés).
Contrairement à ce que beaucoup de jeux de rôle laissent entendre, ce n'est pas le nombre d'adversaires qui détermine nécessairement le nombre de protagonistes. Il est possible de considérer l'action "Battre 3 soldats aux corps à corps" comme une action simple de difficulté élevée. L'inverse est aussi possible, jusqu'à une certaine limite. Par exemple, il est possible de transformer un simple jet pour toucher en une opposition entre un jet pour toucher et un autre pour éviter, la plus grande réussite étant victorieuse, ou encore en un jet pour surprendre, un autre pour voir venir le coup, un autre pour réagir, toucher, éviter, encaisser les dommages, conserver son équilibre, contre-attaquer, etc. Comme dans toute chose toutefois, la modération a bien meilleur goût; assurez-vous donc que chaque jet en justifie la description narrative. Dans un jeu basé sur la matrice, avec des scènes au ralenti, une suite comme la dernière peut très bien être justifiée, mais dans un univers plus épique (Star Wars ou DragonLance par exemple), ce genre de détails est superflu et ralenti le jeu.
Ce qui vaut pour les adversaires vaut aussi pour les PJs. Ainsi, si le groupe en entier fouille une pièce, un seul jet, qui tiendra compte du nombre de personnages et des habilités de chacun, sera nécessaire pour déterminer s'ils trouvent de quoi. Vous pourrez ensuite déterminer qui a trouvé quoi par un nouveau jet aléatoire, si cela est important pour l'histoire.
Chaque mécanisme permet d'obtenir différents résultats. On les classera selon leur nature, leur qualité et leur nombre. La nature de chaque résultat est toujours en fonction du protagoniste actif et donc chaque protagoniste actif peut avoir un résultat différent si la mécanique le permet.
Qualité des résultats. Il existe trois types de résultats: La réussite, l'échec et le statuquo. Cela peut sembler trivial mais pourtant, nombre de jeux semblent l'oublier. La majorité des mécaniques ne propose généralement que deux types de résultats à la fois et la distinction entre statuquo et l'un des deux autres n'est souvent pas spécifié, laissée implicitement à la disgression du MJ. Pourtant, le jeu entre ces trois éléments est très importants.
Nature des résultats. En plus de leur qualité, les résultats peuvent être de types différents. On y retrouve les résultats normaux, différenciés, partiels et mixtes. Lorsqu'aucun résultat ne se distingue d'un autre sans changer de qualité, on parle de résultats normaux. Si des résultats de mêmes types sont distinguable entre eux, on parle de résultats différenciés. Si le résultat n'est pas concluant ou représente qu'une partie de la tâche en cours de résolution, on parle de résultat partiel. Finalement, si le résultat est d'un type mais inclut des effets d'un autre type, on parle de résultat mixte.
Exemple 1. Nature des résultats
Si le résultat est soit une réussite, soit un échec, c'est un résultat normal. Si le résultat peut inclure à la fois des réussites normales et critiques, on parle de résultats partiels. Si le résultat donne en fait un nombre de points de tâche qui doivent être accumulés pour accomplir la tâche, on parle de résultats partiels. Finalement, si le jet indique que le voleur a ouvert la porte mais a brisé la serrure en le faisant, on parle de résultats mixtes.
Nombre des résultats. Le nombre de résultats possibles est aussi important. Toutefois, on distinguera entre deux types de compte: celui du nombre de résultats de natures différentes, et celui du nombre de résultat possibles.
Le nombre de résultats de types différents peuvent être de trois genres: Le résultat unique qui ne possède qu'un seul type, le résultat binaires, qui n'en contient que deux, et le résultat ternaire qui contient les trois types. Lorsqu'un résultat unique est de type normal, on parle de résultat automatique. Lorsqu'un résultat binaire contient le type du StatuQuo, on parle de résultat booléen, sinon on parle de résultat bi-polaire.
Ensuite, on peut considéré deux cas pour le nombre total de résultats: ils peuvent être bornés, c'est à dire avec un nombre donné de résultats possibles, ou ouverts, c'est à dire que le nombre de résultats possible est infinis. Dans ce dernier cas, on peut faire trois distinctions: les résultats peuvent être ouverts positifs (le résultat est uniquement ouvert pour la réussite), ouvert négatif (le résultat est ouvert pour les échecs), ou illimité (le résultat est ouvert dans les deux cotés). Le statuquo n'est pas inclus dans ces résultats.
Le choix des résultat influence beaucoup le flot du récit et l'impression de contrôle et de risque des joueurs sur leurs personnages. Le StatuQuo ainsi amène presque automatiquement une impression de blocage, qui peut être intéressante pour créer un suspense ou élever la tension. Il faut toutefois y faire gare car il ralenti le flot du récit. L'absence d'une possibilité d'Échec donne aussi l'occasion au personnage de se répéter indéfiniment si la situation initiale ne change pas.
Mécanismes ouverts. Tous les résultats sont bornés par définition; il n'existe qu'un nombre fini de résultats significatifs intéressants. Toutefois, certaines mécaniques permettent, théoriquement, un nombre infine de résultats. On en distingue trois sous-types différents, soit les mécanismes ouverts par le bas, par le haut, ou illimité (ouvert des deux cotés). Du point de vue divertissement, les mécanismes ouverts recoupent au final un des résultats précédents mais offrent une impression que tout est possible pour le protagoniste actif, ce qui peut être fort intéressant pour créer une bonne ambiance. Préparez-vous seulement à justifier des résultats incroyables avec cette approche.
Il est souvent possible de transformer un mécanisme d'un ordre supérieur (les derniers cités, à l'exception des mécaniques critiques) en mécanisme d'un ordre inférieur (les premiers cités) simplement en regroupant les résultats entre eux. C'est ce que font la plupart des jeux de rôle. Il faut toutefois faire attention. Certains systèmes qui sont binaires ou trinaires ont l'air de systèmes ouverts. Toutefois, la marge de réussite obtenue ne fait aucun sens car non bornée ou encore délimité par des paramètres hors de l'histoire. Par exemple, certaines mécaniques demandent plusieurs échangent jusqu'à une certaine condition de réussite ou d'échec survienne. Très souvent, alors, la marge de réussite est le minimum nécessaire. Une telle mécanique est donc, au plus, trinaire, voire inférieure.
À d'autres moments, la marge de réussite obtenue est inutilisable pour l'interprétation car sans lien avec les descripteurs du système. C'est souvent le cas pour les mécaniques ouvertes, c'est à dire celles qui contiennent. Par exemple, dans les jets ouverts des Arpèges, la marge de réussite est inutilisable. Elle ne peut être que comparée à une autre marge de réussite, voire à une difficulté. Toutefois, la difficulté elle, peut être utilisé directement, car bornée et en relation avec les descripteurs du système.
L'analyse complète d'une mécanique doit se faire dans un cadre plus global et c'est pourquoi je m'abstiendrai de donner des exemples précis de mécanismes de chaque type. Toutefois, des exemples de situations appelant l'usage de chacun des type de mécanismes.
Exemple 2. Situations à pluralités des issues
Lorsque toutes les autres issues obstruent le développement de l'histoire, l'appel à un mécanisme automatique est fait. Par exemple, la découverte d'un cadavre devant mener les personnages vers la suite de l'aventure se fera automatiquement, sans qu'aucune mécanique n'intervienne. Sinon, le scénario ne fait aucun sens.
Lorsque se présente dans l'histoire une situation où il existe une possibilité que l'histoire dévie de son cours normal, on a affaire à une situation booléenne. Par exemple, sur la place publique, les personnages peuvent se faire remarquer par les agents de sécurité de la ville, ce qui risquerait de leur apporter des ennuis par la suite (si vous ne savez pas pourquoi, vos joueurs, eux, le savent). S'ils ne se font pas remarquer, l'histoire continue de façon normale.
L'histoire arrive à un embranchement où elle peut aller dans deux directions sans qu'il soit possible d'opter pour l'une d'entre elle par défaut. Les situations binaires appellent souvent à une confrontation entre deux parties et sont souvent imposées par le MJ, afin de forcer une issue à se résoudre.
Par exemple, un personnage se fait interroger par des enquêteurs. Soit le personnage parvient à convaincre les enquêteurs de son innocence et que ces derniers le libèrent, soit il n'y parvient et le personnage devient un suspect important.
Ici, un nouvel embranchement se présente entre deux possibilités, mais la résolution finale peut être reportée à plus tard. Ce mécanisme a l'avantage d'offrir une sortie à une situation qui pourrait s'avérer désavantageuse pour les PJ.
Le mécanisme ouvert borné présente une certaine variété de résultats mais qui restent limités en nombre. Par définition, tous les mécanismes précédents rentrent dans cette catégorie, mais cette dernière inclut aussi les mécanismes possédant plus de 3 résultats possibles (c'est le cas de la majorité des systèmes utilisant des marges de réussite ou d'échec).
Les mécanismes ouverts (non-bornés) permettent un nombre illimité de résultats. On en distingue trois sous-types différents, soit les mécanismes ouverts par le bas, par le haut, ou illimité (ouvert des deux cotés). Du point de vue narratif, le mécanisme ouvert non-borné diffèrent peu de celui borné; seulement, les bornes seront déterminées plus tard, lors de l'interprétation des résultats par souci de préserver la SVI. Toutefois, du point de vue divertissement, les mécanismes non-bornés offrent une impression que tout est possible pour le protagoniste actif, ce qui peut être fort intéressant pour créer une bonne ambiance. Préparez-vous seulement à justifier des résultats incroyables avec cette approche.
Les mécanismes critiques présentent une variation
sur les systèmes précédents. Ils ont un certain
nombre (entre un et trois) d'états qui sont considérés
comme étant exceptionnels. Cet état peut être positif
(réussite critique), négatif (maladresse critique) ou
neutre (aussi nommé sur un
fil
)[3]. Les mécanismes critiques peuvent
apparaître dans n'importe quel des types précédents,
mais on les retrouve généralement que dans l'un des
types ouverts (borné ou non). C'est donc plus un
attribut supplémentaire qu'un type à part. Les
mécanismes critiques ne devraient jamais être utilisés
systématiquement, mais uniquement pour les scènes
importantes où la possibilité de changer l'histoire
est grande.
Il n'est pas nécessaire qu'une mécanique possède un générateur aléatoire (dés ou cartes par exemple) pour avoir de nombreux résultats. Un système de points à distribuer, de décompte de points ou de votes peut aussi faire l'affaire. Toutefois, la présence d'un mécanisme aléatoire impose automatiquement une limite sur le nombre de choix possibles, ainsi que la probabilité qu'une issue survienne. Cette probabilité devrait être proportionnelle à l'intérêt pour chaque issue de subvenir à ce moment (encore une fois au niveau de l'histoire, et non au niveau des personnages). Ainsi, on peut créer un intérêt supplémentaire en rendant une issue importante plus difficile à obtenir maintenant, mais uniquement s'il existe un moyen pour les personnages d'augmenter (ou de contrer, si l'issue est négative) les chances de réussite de cette issue par la suite. Dans tous les cas, une évolution doit exister afin que l'aventure ne se transforme pas en une suite répétitive de la même situation dont l'issue serait entièrement livrée au hasard (ce qui est souvent le cas avec les systèmes de combat où chaque assaut n'est qu'un coup porté qui portera ou non). Il faudra faire particulièrement attention aux mécanismes possédant un statu quo pour éviter une telle situation. Rappelez-vous que la répétition d'un même jet plusieurs fois entraîne nécessairement sa réussite ou son échec après un certain nombre de coups. Si ce temps est sans importance, accordez la réussite (ou l'échec) automatiquement. S'il a De l'importance, utilisez un mécanisme ouvert pour déterminer en un seul jet le temps nécessaire pour atteindre la possibilité intéressante, à moins que chaque tentative mérite sa description (ne serait-ce pour créer un suspense). Encore une fois, la réponse définitive se trouve dans l'effet narratif que vous désirez obtenir plutôt que dans la nature même de l'action tentée.
Certains mécanismes de résolution permettent de résoudre plusieurs situations simultanément. Ces mécanismes permettent de prendre en compte certains aspects du lien reliant les situations.
Les situations sont ou non indépendantes, c'est à dire que la réussite de l'une d'elle influencera ou non celles des autres.
Les actions surviennent dans un ordre donné. Ce type de combinaison est souvent dépendant.
Certaines actions peuvent être priorisées sur d'autres. C'est le cas des systèmes qui permettent au joueur de distribuer un certain nombre de points sur chaque action. Parfois, un système imposera que la priorité soit liée à l'ordre des actions. C'est le cas des systèmes qui imposent un malus cumulatif sur les actions suivantes.
Les actions ont été planifiées en avance. Ces systèmes ont un intérêt surtout ludique mais prennent souvent en compte l'impulsivité et la stratégie, des traits de personnage souvent fort intéressants d'un point de vue narratif.
Certains mécanismes permettent de changer ses intentions en cours de route, d'interrompre une action entreprise, ou encore d'entreprendre une nouvelle action. Ce type de système sont souvent aussi planifiés, ordonnées, ou encore priorisés.
La composition est lorsque les résultats d'une résolution vient affecter directement la probabilité de la suivante. Les résolutions de ce type peuvent être indépendantes si un résultat négatif n'empêche pas l'action suivante d'être tentée. Les compositions se font très souvent avec des mécanismes possédant des marges de réussite (fermé ou ouvert) et peuvent être liées à une réussite critique. L'ordonnancement et la planification accompagne souvent la composition.
Je rappelle qu'il est ici question des mécanismes de résolution, et non pas de la situation elle-même. Rare sont les systèmes qui implémentent toutes ces possibilités. Toutefois, si les mécanismes le permettent, le MJ pourra en tenir compte comme d'un nouvel outil dans son coffre qui permet de lier les résolutions complexes de façon plus intéressantes.
La dernière étape de la résolution consiste à intégrer les éléments mondains avec la mécanique de résolution. L'intégration dépend beaucoup des mécaniques eux-mêmes ainsi que du système descriptif du jeu. Pour faciliter cette intégration, il est bien que tous les éléments descriptifs du jeu soient sous la même échelle de résolution, ou que chacun puisse intervenir peu importe la mécanique utilisée. Il est important que seuls les éléments cités précédemment dans la définition des éléments mondains soient utilisés.
Si la mécanique choisie utilise un système de génération aléatoire, il est important que certains éléments soient associés à ce hasard pour l'expliquer. Ce seront souvent des éléments vagues, qui ont une influence individuelle faible ou incertaine mais qui pourront prendre une place importante lors de l'interprétation des résultats. Ils peuvent ou non faire partie des éléments mondains cités précédemment mais, règle générale, le hasard représente habituellement lors de l'interprétation tout ce que le MJ et les joueurs n'ont pas désiré prendre en compte lors de la résolution de la situation. Si aucun élément de ce type n'intervient, revenez en arrière et sélectionner un mécanisme sans aléatoire. Sinon, vous risquez d'avoir de la difficulté lors de l'interprétation des résultats.
Un point de vue important du modèle est que je considère l'approche simulationniste comme n'ayant pas lieu d'être en jeu de rôle; elle n'y a simplement pas sa place. Toutefois, cela ne veut pas dire que le jeu de rôle ne doit tenter de répondre aux attentes des joueurs, incluant une certaine vraisemblance. On pourrait ainsi dire qu'un système de jeu de rôle, implanté dans un décor défini, doit être aussi vraisemblable qu'un décor de cinéma pour le spectateur. Tant que la vraisemblance est conservée, le système tient son rôle.
Toutefois, la métaphore avec le cinéma n'est peut-être pas la plus adéquate. Le jeu de rôle est avant tout un jeu littéraire si l'on peut dire ainsi. La vraisemblance passe par le descriptif, par les mots bien plus que par tout autre aspect. À ce niveau, un système de résolution doit produire non pas un modèle de ce qui survient mais agir plutôt comme générateur de description[4]. Le choix d'un système de résolution dépend donc du style que nous désirons mettre à la scène. Une scène sans importance, demandant une description courte, devra utiliser un mécanisme de résolution en conséquence: temps de résolution faible (généralement, pour chaque échange, on devrait avoir un descriptif), nombre de protagonistes actifs limitées (le sujet de la description sera souvent le groupe plutôt que chaque personnage individuellement), avec des résultats souvent peu nombreux (on dira qu'ils ont réussis ou échoués, sans trop préciser comment ou à quel point). À l'inverse, une scène plus importante, et donc décrite plus en détails, pourra utiliser des mécanismes plus complexes, avec plusieurs protagonistes, un temps de résolution plus long, et plus de subtilités dans les résultats possibles.
L'effet des combinaisons sur la narration est plus subtil et demanderait une section à lui seul pour être vu dans tous ces détails. Les différentes combinaisons correspondent à autant de façon de relier les propositions (c'est à dire chacune des résolutions effectuées) entre elles. Elles agissent comme des conjonctions dans la grammaire. Par exemple, une combinaison de résolutions dépendantes agira comme une conjonction de subordination. Dans la langue, la conjonction est utilisée pour exprimer des liens de subordination (de cause, de conséquence, de comparaison ou de temps principalement) ou de coordination (de liaison, de cause ou de conséquence principalement). Leur présence apporte donc une information supplémentaire sur la séquence des évènements, permet de les lier entre eux et surtout, rôle important dans les œuvres de fictions, modifie le rythme de la narration. On fera donc attention à leur usage.
Parler ainsi en terme de conjonction semble très abstrait et difficile. Mais l'usage de conjonction est naturel pour toute personne parlant une langue. Généralement, vous n'avez pas à y réfléchir, elle vient naturellement. Ne forcez donc pas leur usage mais allez-y parcimonieusement, lorsque cela vous semble évident qu'une combinaison doit avoir lieu. Et lors de l'interprétation, servez-vous en pour structurer votre description de ce qui s'est passé.
Un modèle populaire pour classifier les systèmes de résolution est celui proposé par Jonathan Tweet, dans Everway, la hiérarchie DKF[5]. La hiérarchie DKF classifie les systèmes de résolution selon la place que tient les mécaniques et le hasard dans le processus décisionnel. La première catégorie laisse entièrement le contrôle aux joueurs et donc à l'histoire. Les mécanismes de ce type ce regroupe dans la catégorie Drame (Drama dans la version originale). La deuxième catégorie apparaît quand les choix narratifs sont limités par certains mécanismes déterministes, que ce soit une caractéristique du personnage ou un système de points quelconque. Ces mécanismes agissent comme une sorte de karma pour le personnage et c'est pourquoi cette catégorie porte ce nom. Finalement, la dernière catégorie est lorsque un élément aléatoire intervient dans le processus. Cette catégorie s'appelle alors la Fortune, puisque la narration s'oriente selon la bonne fortune du personnage. Il est à noter que c'est une hiérarchie et non pas une composition. Un mécanisme qui possède une partie aléatoire est dans la catégorie Fortune, même s'il possède aussi une partie karmique et, bien entendu, une interprétation narrative.
La hiérarchie DKF a été mise en place pour indiquer la subordination graduelle de la narration a des mécanismes de plus en plus abstraits, supposant une perte de contrôle sur l'histoire. Le modèle développé ici n'en tient compte que partiellement. L'idée est que la mécanique et l'aléatoire ne sont que des aides à la narration, des outils, et donc soumis à l'usage qu'en fait les joueurs. Un des objectifs de ce modèle est donc de redonner le contrôle narratif aux joueurs sans pour autant abandonner ces outils fort utiles, principalement en apprenant à identifier leur effet sur la narration. Trop souvent ai-je vu le système blâmé pour une mauvaise partie alors, qu'en fait, il avait tout simplement été mal utilisé pour créer un effet pour lequel il n'avait pas été prévu.
Une fois les éléments définis, le système de résolution et les résultats obtenus, le travail d'interprétation survient. Traditionnellement, ce travail a été considéré comme difficile: le MJ doit donner à des résultats souvent abstraits une interprétation cohérente et intéressante, sensée relancer l'histoire et garder les joueurs dans l'atmosphère voulue. Avec le travail fait précédemment, cela ne devrait être plus qu'une question de formalité: ne s'est-on pas assuré dès le départ que seules les options intéressantes étaient conservées, que seuls les éléments importants étaient pris en compte, et que les échanges (la résolution elle-même) étaient un reflet de ce que devait donner la narration? Avec ça, il ne reste plus vraiment d'excuse pour le MJ pour rendre compte d'un résultat sans intérêt ou expliquer, voire ignorer, des résultats incohérents.
Ceci dit, afin de maximiser l'effet du système sur l'histoire et l'atmosphère, quelques principes, conséquences des choix précédents, devraient être respectés. Par exemple, ne laissait pas un chiffre sans explication. Que ce soit un jet de dés, une difficulté, une statistique, ces chiffres doivent être reflétés dans l'histoire. Ensuite, assurez-vous que les résultats donnent des changements concrets à l'histoire. Les risques pris doivent être réels pour les personnages, tout comme leur victoire, vous devriez vous en être déjà assuré dès le départ, lors de la définition des situations intéressantes. Lancer les dés simplement pour lancer des dés rend le jeu mécanique et terne. Un système ne devrait pas servir à simplement faire du bruit et distraire les joueurs de l'histoire mais plutôt les aider à s'absorber davantage dans celle-ci. Cela est particulièrement vrai si vous utilisez des résultats critiques. Ceux-ci arrivent rarement et devrait donner des résultats à long terme, que les joueurs se rappelleront. Ainsi, une réussite critique devrait éliminer un obstacle dans les épreuves du personnage, ou lui apporter un gain durable. De même, un échec critique devrait amener un obstacle supplémentaire que les joueurs ne pourront contourner aisément pour atteindre leur objectif. Finalement, à moins que vous désiriez en finir, assurez-vous que votre interprétation ne nuit au plaisir d'aucun joueur et ne l'empêche pas de jouer. Un échec, même critique, ne devrait pas amener la fin de la partie, sauf si cela est votre objectif commun.
Cette section aborde rapidement le contrôle des évènements dans le DRI. Le contrôle des évènements de jeu peut être vu sous deux dimensions: qui possède le contrôle et lors de quelle partie de la résolution. La théorie actuelle du jeu de rôle possède deux modèles pour cela: Le modèle de Fortune, décrit à travers les acronymes FaF, le FaM et FaD, qui représente quand les joueurs contrôle le jeu, et la Balance du Pouvoir (BdP), qui est plus concerné par l'équilibre décisionnel et son transfert entre les joueurs, le MJ et les règles.
Le DRI fournit un modèle basé sur celui de Fortune, et donc est plus concerné par le quand que par le qui. Bien que je considère que l'issue est importante, c'est juste que le modèle actuel n'apporte pas une analyse poussée de la situation. Nous pouvons tous voir qui possède le contrôle à un moment donné, mais c'est moins clair de voir comment l'équilibre lui-même est affecté. Je laisse donc cela au modèle de monsieur Logan.
Le modèle de Fortune original incluait trois modes différents: FaF, FaD et FaM. FaF, pour Fortune-à-la-Fin, est le mode le plus populaire: une fois que les joueurs ont décrit leur intention et roulé les dés (ou tout autre mécanisme de résolution), ils regardent s'ils ont réussi. Ce modèle est l'un où les joueurs ont le moins de contrôle sur la destinée de leur personnage, puisque bien qu'ils puissent décider des intentions de leur personnage, ils ne peuvent rien faire pour orienter le jeu après un mauvais résultat, menant à la mort du personnage, etc.
La Fortune-au-Début (FaD) essaye de donner plus de contrôle sur les résultats d'une action. Étant donné un résultat, le joueur décide de comment la suite des évènements se déroulera. Ce mécanisme est surtout utiliser pour les jets d'initiative, bien que certains systèmes ont tenté de l'insérer dans leurs mécanismes de résolution général, par exemple en faisant piger des cartes aux joueurs et choisir leurs actions basées sur les cartes qu'ils ont en main. Le FaD donne plus de contrôle sur les résultats et donc sur l'histoire. Le FaD permet d'éviter ainsi les pires situations (du point de vue des joueurs et non des personnages) sans avoir besoin de nuancer les dés, bien que cela laisse moins de possibilités sur qu'est-ce que leurs personnages peuvent faire à un moment donné.
La Fortune-au-Milieu (FaM), vous le devinez, est un mélange entre les deux modes précédents. Les joueurs déterminent les intentions de leurs personnages, font appel au mécanisme de résolution et, en se basant sur les résultats, décrivent leurs actions. C'est ce modèle qui, théoriquement, donne le plus de contrôle narratif aux joueurs.
Dans la terminologie du DRI, les trois modes peuvent être décrits en utilisant une notation en capitalisation variable du DRI. L'usage d'une lettre majuscule signifie un contrôle du joueur pour cette partie de la résolution, alors qu'une lettre minuscule signifie que ce sont les règles qui déterminent cette partie de la résolution. Dans ces cas, le FaF s'écrirait Dri, le FaD serait drI, et le FaM s'écrirait DrI. On remarquera aisément qu'aucun des trois modèles ne contient la lettre R en majuscule. Il peut sembler évident que, lorsqu'on utilise un mécanisme de type Fortune, l'appel à un mécanisme de résolution donne automatiquement le contrôle aux règles. Sinon, le système est mieux décrit par des mécanismes de type Karma ou Dramatique, n'est-ce pas? Et bien, j'ai décidé de refuser cette conclusion: les joueurs peuvent aussi avoir le contrôle à cet endroit.
Habituellement, les joueurs ou le MJ laissent les règles décider de la mécanique de résolution pour chaque type d'action: utiliser ce type de jet de dés sous tel attribut pour le combat, ou rouler sous cet attribut tant de fois jusqu'à ce que vous obteniez tant de succès pour faire la recherche d'une potion. Un système de type dRi, quant à lui, offre aux joueurs le choix de la mécanique sur ce que la scène requiert, tels qu'expliqué dans la section intitulée « Résolution ». Utilisez un jet ouvert pour des actions cinématiques, utilisez un jet étendu (plusieurs échanges) pour plus de suspense, utilisez un jet simple ou automatique pour les issues moins importantes. Bref, basez votre choix du mécanisme de résolution sur des facteurs narratifs plutôt que sur la nature de l'action, puisque ce que vous voulez c'est une bonne histoire et une atmosphère appropriée et non une description objective des évènements.
Bien que cela semble un point de vue extrêmement narratif, une simulation crédible peut être obtenue de cette façon. Actuellement, les jeux de rôle n'utilisent généralement qu'un ou deux systèmes de résolution servant pour presque toutes leurs actions, et prétendent quand même à une approche simulationniste. Cette approche est bien plus souvent obtenue grâce à des paramètres finement choisies, des tables ou des attributs détaillés, ou d'autres éléments similaires, plutôt qu'à travers un mécanisme de résolution spécifique. Aussi, la plupart des mécanismes de résolution peuvent être modifiés pour donner approximativement la même probabilité de réussite ou d'échec, mais avec une atmosphère différente. Puisque seulement les probabilités, et non la façon dont elles sont résolues, compte pour déterminer si on a une bonne simulation en jeu de rôle, cette partie est intacte et donc un système narratif de simulation est un rêve possible[6].
J'aimerais bien remercier les membres du forum RPG Design de RPG.net, particulièrement Mason, HighlandGreen and Pat Sleeper, ainsi que ceux des groupes de jeuderôlogie et jdr-création pour leurs précieux commentaires lors de l'élaboration des idées de cet article. Les jeux de rôle The Pool© et particulièrement Universalis™ furent une source fort éclairante sur la façon dont un système de résolution fonctionne, et j'aimerais aussi remercier Ron Edward et Jonathan Tweet pour leur contribution à la jeuderôlogie en général.
[1] J'avais ici en tête aussi d'autres éléments, comme la gestion des ressources, les mécanismes méta-ludiques, etc. Toutefois, leur place est vague, comme pour les enjeux, rappelant parfois le jeu dans le jeu ou même une part du mécanisme de résolution. Je devrais m'y pencher davantage.
[2] Cette définition diffère de celle utilisée par Ron Edwards qui considère le temps en secondes pour résoudre une action, afin de considérer l'efficacité d'un mécanisme à se résoudre rapidement. Cette mesure doit être optimalement la plus petite possible. Si cela s'applique bel et bien pour un échange particulier, le nombre d'échanges, lui, peut varier pour créer l'ambiance souhaitée.
[3] À ma connaissance seul Marcel Super Blaireaux utilise ce type de réussite critique. C'est toutefois, à mon avis, génial comme idée.
[4] On parle bien ici uniquement du système de résolution. D'autres éléments comme le système descriptif ou de progression n'ont pas exactement le même objectif et agissent différemment. Bien qu'il faille en tenir compte lors de la conception d'un jeu de rôle, nous supposerons ici que le système de résolution s'intègre bien à ces autres mécanismes.
[5] La présentation de la hiérarchie qui est faite ici est basée sur les différents exposés de cette théorie qu'on peut retrouver sur le web, en particulier le travail de Ron Edwards. Il se pourrait que le texte original diffère de cette présentation mais je n'ai pas réussi à me le procurer.
[6] Ici, j'utilise le mot simulation comme il est souvent entendu en jeu de rôle, soit quelque chose de vraisemblable, ce qui revient à dire qu'un système doit être aussi réaliste qu'un décor de cinéma pour le spectateur. Nous sommes bien loin de la simulation scientifique qui elle vient plutôt tenter de prouver la fidélité d'un modèle donné à un évènement observé. Un tel système n'a pas grand chose à voir avec le jeu de rôle et, bien souvent, due à la nature imaginaire des univers dans lequel évolue les personnages, n'est pas du tout prévalant.